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lettre de Roberto Garreton aux Congolaises et aux Congolais







Communique' de Roberto Garreton:

Madame, Monsieur,

Je vous prie de bien vouloir trouver ci-joint une lettre ouverte aux 
Congolaises et aux Congolais, suite a' ma demission hier du poste de 
Rapporteur special des Nations Unies sur la situation des droits de 
l'homme en Republique democratique du Congo.

Meilleures salutations.

Roberto Garreton





Lettre ouverte aux Congolaises et aux Congolais
par Roberto Garreton

Geneve, mai 1994.
Au cours d'un diner, le President de Commission des droits de l'homme 
qui figurait parmi les convives, s'est approche' de moi et m'a pose' 
cette question:
"Roberto, la Commission des droits de l'homme vient d'etablir il y a 
quelques jours, le mandat de Rapporteur special pour le Zaire.
Ton nom est propose'.
Qu'en penses-tu? Je dois te dire que j'ai besoin que tu me repondes 
immediatement".

Durant les secondes qui ont suivi, je suis reste perplexe.
Bien qu'honore' par cette proposition, je me suis demande' comment 
l'avocat chilien que j'etais, pouvait assumer la tache, o combien 
difficile de Rapporteur, surtout pour un pays que je ne connaissais 
que de nom et que je pouvais difficilement situer sur une carte.

Je me suis alors souvenu avoir manifeste' dans les annees 60, j'etais 
etudiant a' la faculte' de droit, pour soutenir une des idoles de la 
jeunesse de ce pays, un certain Patrice Emery Lumumba.
Et voila' que l'on me proposait aujourd'hui d'etre Rapporteur pour ce 
pays qui de Congo avait ete' rebaptise' Zaire.
C'etait, il est vrai, l'epoque des independances, l'epoque du soutien 
inconditionnel aux differents mouvements de liberation, l'epoque de 
la solidarite' entre les peuples qui, a' travers le monde, luttaient 
pour pouvoir choisir librement leur destin.

Au cours de ces memes secondes, alors que mon interlocuteur etait 
toujours en attente de ma reponse, je me suis egalement souvenu de 
l'action decisive du Rapporteur special pour le Chili, mandat qui 
avait ete' etabli par la Commission des droits de l'homme dans les 
annees 70.
Le Rapporteur special etait Abdoulaye Dieye, un magistrat senegalais, 
un homme extraordinaire.
Je me suis alors dit: quand on a demande' a' Abdoulaye d'assumer 
cette fonction, il ne connaissait peut etre le Chili que de nom.
Il s'est pourtant investi et nous ont aides, nous les Chiliens, qui 
combattions alors contre la dictature de Pinochet et pour faire la 
lumiere sur les violations massives des droits de l'homme commises 
par ce regime militaire.

Dans notre longue lutte contre la dictature et l'oppression, les 
victoires etaient rares.
Tous les proces que nous intentions contre le regime militaire, alors 
que j'exercais comme avocat a' la Vicar'a de la Solidaridad, nous les 
perdions.
Cependant nous connaissions chaque annee deux succes: lorsque la 
Commission des droits de l'homme et l'Assemblee generale decidaient 
de renouveler le mandat du Rapporteur special.
Cela nous galvanisait lorsque les noms des personnes executees, 
"disparues", ou torturees etaient mentionnees dans les rapports du 
Rapporteur.
En effet, lorsque nous lisions ces rapports qui enumeraient les noms 
des victimes, victimes, dont j'avais pour certaines d'entre elles 
ete' l'avocat, cela nous redonnait courage en tant que defenseurs des 
droits de l'homme, courage de poursuivre notre lutte car nous savions 
que nous etions soutenus; courage aussi aux familles des victimes 
dans leur quete de verite' sur le sort de leurs proches.
Nous savions que notre lutte contre l'oubli, notre "droit a' vivre en 
democratie" avait un echo bien au dela' des frontieres de notre pays.

Ce sont ces souvenirs, ces images qui ont defile devant moi en 
l'espace de quelques secondes et qui m'ont finalement decide' a' 
accepter cette fonction que j'ai assumee de 1994 a' ce jour.

Pres de huit annees se sont ecoulees.
Huit annees au cours desquelles, le Zaire est devenu Republique 
democratique du Congo et le drapeau tricolore enflamme' par le feu 
sacre' a ete' remplace' par un drapeau bleu a' etoiles jaunes.
Huit annees au cours desquelles trois presidents se sont succedes et 
deux guerres ont ensanglante' et ravage' ce pays.
La guerre dite de "liberation" a ensuite fait place a' une autre 
guerre qualifiee elle "d'agression".
Le conflit international est devenu peu a' peu un conflit interne 
avec des dimensions internationales: un conflit ou' se sont affrontes 
sept armees regulieres et une vingtaine de groupes armes.
Cependant, malgre' ces changements d'hommes, de contextes, de 
situations, de vocables et de symboles, les victimes ont toujours ete 
les memes: la population civile congolaise.
Population que j'ai appris a' connaitre et de laquelle j'ai recu 
maints temoignages.
Population acculee, population eprise de liberte', population 
affaiblie, mais population, resolument nationaliste, fiere d'etre 
congolaise et convaincue au plus profond d'elle meme que le Congo, ce 
grand pays, est un et indivisible.

Mon apprentissage du Congo a ete' continu, en raison de l'evolution 
de la situation politique, continu.
A l'heure ou' j'ecris ces lignes, je dois avouer que je ne pense pas 
pouvoir dire que j'ai connu le Zaire pas plus que je connais le Congo 
et ce, en depit des neuf missions et des centaines de documents, de 
rapports et d'ouvrages que j'ai lus.
Plus je travaillais sur le Congo, plus je me rendais compte de son 
extreme complexite'.
On comprendra des lors le besoin d'humilite', de remise en cause 
permanente, de grande et perpetuelle ouverture d'esprit.
Combien de fois ai-je ete' totalement deroute' et ai-je du remettre 
en question mes analyses pour qu'elles tiennent compte des derniers 
soubresauts de l'environnement politique, economique et social 
congolais?

Cette lettre vise avant tout a' remercier toutes celles et tous ceux 
qui, parfois au peril de leur vie et de celles de leurs proches, se 
sont battus et continuent a' se battre pour que les droits de l'homme 
au Congo ne soient pas que de simples mots mais une realite': une 
realite incontournable.
Aujourd'hui on parle des droits de l'homme de Kinshasa a' Kisangani, 
de Goma a' Gbadolite, de Bukavu a' Lubumbashi, de Kindu a' Mbandaka, 
de Matadi a' Mbuji Mayi.
Les droits de l'homme ne sont plus un sujet tabou.
On ose en parler.
On ose denoncer leurs violations.
On ose aussi et surtout revendiquer afin qu'ils soient davantage respectes.

Les droits de l'homme sont, pour reprendre une expression typiquement 
anglo-saxonne "on top of the agenda" en Republique democratique du 
Congo.
Il s'agit d'une tres grande avancee, d'un acquis qui, je le crois, ne 
pourra etre remis en cause.
Cet acquis est avant tout l'oeuvre de la societe' civile, des 
organisations non gouvernementales, des communautes religieuses, des 
journalistes mais aussi et surtout des defenseurs des droits de 
l'homme.
J'ai ete' impressionne' par la maniere dont, au cours de ces 
dernieres annees, la societe' civile congolaise, en depit de l'espace 
de liberte' restreint qui etait le sien, a pu s'organiser, se 
structurer et reussir a' faire entendre sa voix, tant sur le plan 
national, regional qu'international.
La societe' civile est parvenue a' ce que le sort du Congo ne soit 
plus uniquement decide' par les " politiques".
Selon moi, la meilleure preuve en est que des representants de la 
societe' civile sont partie prenante au Dialogue inter-congolais.
Je crois et je suis convaincu que l'avenir, un avenir pacifie', ne 
pourra se faire qu'avec la societe' civile.
Son role a ete', est et restera capital.

Les problemes demeurent cependant nombreux au Congo et il faudra du 
temps avant qu'ils ne soient resolus.
Comme je l'ai toujours dit, je serais heureux lorsqu'il n'y aura plus 
de Rapporteur special pour le Congo, car cela signifiera qu'il n'y a 
plus de problemes majeurs de droits de l'homme dans votre pays.
Je crois que ce moment n'est cependant pas encore venu.
Celle ou celui qui me succedera sera nomme' tres prochainement par le 
Bureau de la Commission des droits de l'homme.
Beaucoup restant a' faire, sa tache sera vaste et surement difficile.
Elle ou il ne pourra exercer pleinement son mandat que s'il beneficie 
d'appui et d'assistance: de votre appui et de votre assistance.
Mais, je suis convaincu que le prochain Rapporteur beneficiera du 
meme soutien que vous n'avez cesse' de m'apporter et que vous lui 
temoignerait la meme confiance dont vous m'avez honore'..

Les rapports du Rapporteur special sont, il est vrai, adresses a' la 
Commission des droits de l'homme et a' l'Assemblee generale des 
Nations Unies.
Mais ils sont aussi et surtout destines a' donner "une voix aux sans 
voix", a' contribuer a' une plus grande promotion et protection des 
droits de l'homme.
Comme je l'ai indique' a' plusieurs reprises, la tache d'un 
Rapporteur est d'aider un pays afin que les droits fondamentaux de 
ses habitants soient mieux respectes.
Cela necessite souvent de denoncer et de critiquer publiquement et fortement.
La critique lorsqu'elle est fondee est toujours constructive surtout 
lorsque le dialogue se poursuit et ce, en depit des divergences.

Quand un Gouvernement ou un mouvement de rebellion ou de liberation 
reconnait que des violations des droits de l'homme sont commises dans 
les territoires sous son controle, un pas considerable est deja' 
franchi en direction de la promotion et de la protection de ces 
droits.
Cependant certains crimes sont imprescriptibles: les crimes contre l'humanite'.
L'enquete sur les massacres des refugies doit etre conduite et la 
verite' doit etre etablie.
Certes, pres de cinq annees se sont deja' ecoulees et il ne sera 
certainement pas possible de connaitre le nombre exact des victimes 
et ni d'identifier ces hommes, ces femmes et ces enfants qui ont 
peris.
Cependant une chose est certaine: on peut pas commettre des milliers 
de crimes parfaits.
Meme si la verite' ne peut etre etablie pour toutes ces victimes, 
elle le sera, je le souhaite ardemment, au moins pour certaines 
d'entre elles, afin que la memoire de toutes les autres, restees 
inconnues, perdure.

L'histoire contemporaine nous a enseigne' qu'il y a une tendance 
irreversible, vers l'identification et la responsabilisation de ceux 
qui ont commis des crimes contre l'humanite'.
Plus personne, et notamment ceux qui font partie de la "caste des 
puissants", ne sera a' l'abri de devoir, un jour, repondre devant la 
justice de sa responsabilite vis a' vis des crimes qu'il a commis ou 
commandite'.
Cela prendra certainement du temps, mais ce moment arrivera.
C'est certain et irremediable.

J'ai ete' critique' et parfois en des termes tres durs.
Cela m'a meme valu d'etre declare' "persona non grata" pendant plus 
de deux ans, au Congo, de 1997 a' 1998.
J'ai ete' qualifie' de menteur souvent et de partial tres souvent.
Dans l'enceinte de la Commission des droits de l'homme, au mois 
d'avril 2000, j'ai meme ete' accuse' de "complice du genocide 
rwandais"par le representant d'un pays "non invite" au Congo.

Lorsque dans mon rapport a' la Commission des droits de l'homme en 
1997, j'ai revele' que des milliers de refugies rwandais avaient ete' 
massacres au Zaire, j'ai ete' qualifie' de fabulateur.
Tout le monde reconnait aujourd'hui qu'il y a eu des massacres, des 
massacres a' grande echelle, meme si chaque camp en fait porter la 
responsabilite' a'...l'autre.
Je me suis aussi trompe' mais lorsque cela a ete' le cas et que les 
preuves de mes erreurs m'ont ete' communiquees, je les ai toujours 
rectifiees.

Je crois en l'avenir du Congo.
Mais cet avenir ne se fera que par les Congolais eux-memes.
La "communaute' internationale", terme imprecis s'il en est, peut 
contribuer a' aider mais ne pourra en aucun cas se substituer aux 
Congolais.
Les Congolais detiennent la cle' de leur avenir, de leur futur.
Le Congo ne peut pas tout attendre de la "communaute' internationale" 
et doit eviter de tomber dans les ecueils de la lassitude, du 
desespoir et celui de la cause perdue.

Le Congo etait, il y a encore quelques semaines, au centre des 
preoccupations de la "communaute' internationale".
Suite aux terribles evenements du 11 septembre dernier, l'Afrique en 
general et le Congo en particulier risquent d'etre a' nouveau 
marginalises.
Or, le processus de paix, de reconciliation nationale et, au dela' de 
reconstruction demeure encore fragile et peut a' tout moment etre 
interrompu.
Les efforts doivent se poursuivre et etre soutenus.
Le risque le plus grand est celui de l'enlisement qui ne pourra que 
conduire a' la consolidation de velleites despotiques.
Le Dialogue inter-congolais est une chance unique qui s'offre au Congo.
Il ne faut pas la rater.

J'ai cependant un regret.
Celui de ne pas pouvoir, en raison de l'incompatibilite' entre mes 
nouvelles fonctions et le statut d'expert independant qui caracterise 
le mandat d'un Rapporteur special, me rendre au Congo pour remercier 
personnellement toutes celles et tous ceux qui m'ont soutenu et 
encourage'.

Je formule toutefois le voeu d'avoir la possibilite' de visiter votre 
pays avec ma famille, qui m'a tant aide' et soutenu au cours de ces 
annees.
Ce souhait m'habite depuis ma premiere mission au Congo.
Une telle visite n'aura pas pour objectif de visiter les cachots de 
la DEMIAP ou du "Chien Mechant" mais d'apprecier les beautes du pays, 
les merveilleux paysages de Bukavu ou de la foret dense de l'Equateur.
Connaitre les diversites d'un Congo pacifie', d'un Congo reunifie', 
d'un Congo enfin reconcilie' avec lui meme, d'un Congo seul 
beneficiaire de ses immenses richesses naturelles, d'un Congo 
congolais ou' ses habitants auront enfin pu decider librement et 
democratiquement de l'avenir qu'ils souhaitent donner a' leurs 
enfants.

Mon mandat de Rapporteur special aura ete' la tache la plus 
importante accomplie dans ma vie apres la lutte contre la dictature 
de Pinochet.
Afin d'honorer, la memoire de ces milliers de Congolaises et de 
Congolais, jeunes et moins jeunes, celebres et inconnus, qui ont 
ete', au cours de cette derniere decennie, victimes de violations de 
leurs droits fondamentaux et inalienables, je continuerai a' suivre 
la situation de votre pays qui est devenu aussi, au fil des annees, 
un peu le mien.

Geneve, le 18 octobre 2001





Roberto Garreton, avocat chilien, vice-president de la Conference 
mondiale pour les droits de l'homme qui s'est tenue a' Vienne en 
1993, a ete' nomme', en 1994, Rapporteur special sur la situation des 
droits de l'homme au Zaire par la Commission des droits de l'homme.
Depuis sa nomination il a effectue' neuf missions en Republique 
democratique du Congo (Kinshasa, Lubumbashi, Goma, Bukavu, Gbadolite, 
Mbuji Mayi, Bunia, Beni et Gemena).
Sa derniere visite a eu lieu du 19 juillet au 2 aout 2001.

En sa qualite' de Rapporteur special, il a ete' invite' a' trois 
reprises (novembre 2000, fevrier et mai 2001) par le Conseil de 
securite' a' faire une presentation sur la situation des droits de 
l'homme en Republique democratique du Congo.
Son prochain rapport, le dernier, sera examine' par l'Assemblee 
generale des Nations Unies le 8 novembre 2001.

Ses rapports ainsi que les resolutions de la Commission des droits de 
l'homme et de l'Assemblee generale sur la RDC peuvent etre consultes 
sur le site internet du Haut Commissariat aux droits de l'homme
http://www.unhchr.ch/html/menu2/7/a/mcon.htm






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Servizio informazioni Congosol
http://www.neomedia.it/personal/Congosol/1.html
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