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Bouteflika-Staugustin
Malgré que ce ne soit plus de l'actualité ..."actuelle", nous pensons vous
faire plaisir en vous envoyant le discours prononcé par le président
algérien, M. Bouteflika, à l'occasion de l'ouverture du 1er Colloque sur St
Augustin, le 1 avril de cette année.
Nous vous en souhaitons une bonne lecture.
Paolo
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Algérie
COLLOQUE INTERNATIONAL SUR SAINT AUGUSTIN
Il s'est tenu à Alger et Annaba du 1er au 7 avril 2001
Discours du Président Bouteflika
Le discours du Président Bouteflika, à l'occasion de la cérémonie
d'ouverture du 1er colloque international sur le philosophe algérien
Augustin: "Africanité et Universalité" (in El Moudjahid du 02.04.01, pp.6 et 7)
"Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,
En accueillant cette rencontre, l'Algérie a voulu marquer sa contribution à
l'année internationale du dialogue entre les civilisations, décidée par
l'Organisation des Nations Unies, à l'initiative du Président Mohamed Khatami.
Et c'est, dans ce cadre, le résultat d'un souhait partagé avec l'éminent
conseiller fédéral, mon ami Joseph Deiss, puis relayé par le travail de
préparation remarquable d'insignes compétences et de tant de dévouements
admirables, que nous inaugurons aujourd'hui.
Ayant, pour ma part, le plaisir et le privilège d'introduire les échanges
de ce colloque, je tiens, d'abord et tout naturellement à souligner
l'opportunité d'une telle manifestation, c'est-à-dire évoquer les enjeux
essentiels qui, à notre époque, s'attachent au dialogue des cultures et des
civilisations.
Je voudrais, aussi, s'agissant de l'objet même du colloque -- la
personnalité et la pensée du grand philosophe que fut Augustin --, préciser
sa portée et sa résonance en Algérie, dans son pays, ce pays qui l'a vu
naître et s'accomplir, et, où, depuis son temps, l'Islam a rencontré,
prolongé et fécondé le génie national pour forger une identité dont la
richesse et la cohérence ont permis de résister à toutes les entreprises de
dépersonnalisation ou de réduction stérilisante.
Au-delà de l'expression de la fierté légitime de notre filiation à ce
Numide qui, au même titre que Platon, Confucius, Ibn Rochd ou Gandhi, a
contribué puissamment à façonner la pensée et les cultures humaines, je
voudrais aussi, par une très brève incursion dans le domaine des
spécialistes -- pour laquelle je demande instamment votre indulgence --
indiquer en quoi l'œuvre d'Augustin, de nos jours, peut constituer l'une
des passerelles pour établir, dans la diversité, la concorde entre les
sociétés humaines.
Mais, au préalable, je veux saluer chaleureusement les éminents
participants à cette rencontre, dont beaucoup, parmi les hôtes étrangers,
sont des amis de l'Algérie. De vrais amis, ceux des bons jours comme des
jours difficiles.
Je veux, aussi, remercier, très vivement, l'Université de Fribourg et
l'Institut des études Augustiniennes de Rome, qui, conjointement avec le
Haut Conseil Islamique, ont assuré la préparation et l'organisation de
cette manifestation.
Qu'il me soit permis, enfin, de déplorer avec tristesse l'absence de l'un
des architectes de ce colloque, le professeur Abdelmadjid Meziane, qu'il a
plu à Dieu de rappeler à Lui il y a quelques semaines et dont je salue avec
émotion
la mémoire.
Mesdames et Messieurs,
La diversité, depuis le commencement de l'Histoire, a été la
caractéristique de l'humanité. Pendant très longtemps elle a, certes,
suscité des rivalités, souvent violentes, mais qui s'accompagnent toujours
d'un enrichissement réciproque qui fut le ressort essentiel du progrès humain.
Aussi, il peut sembler quelque peu paradoxal qu'à notre époque où
l'éducation, les moyens de communication, d'informations, et les échanges,
se sont prodigieusement développés, à notre époque où les distances sont
abolies; où les menaces sur l'environnement font concrètement prendre
conscience de la solidarité objective et de l'interdépendance étroite de
toutes les sociétés humaines, il peut sembler paradoxal que l'on en soit à
évoquer un choc dévastateur de civilisations et que, souvent encore -- et
peut-être plus que jamais par le passé -- la culture ne soit perçue,
exclusivement, que comme une menace pour soi.
La fracture du monde contemporain
Et nulle part comme entre l'Occident et le Monde musulman, la fracture
culturelle n'est ressentie avec autant d'acuité, nourrissant un climat
général de méfiance ou d'hostilité, entretenant des foyers de tension ou de
crise, faisant succéder dans l'imaginaire des sociétés occidentales un
péril vert au péril rouge de la guerre froide, et favorisant dans l'espace
musulman des attitudes de rejet hostile et de repli sur soi et sur le passé.
Et n'est-il pas encore plus paradoxal que cette fracture principale du
monde contemporain affectent deux ensembles dont les cultures s'enracinent
profondément dans des religions nées de la même matrice abrahamique,
puisant aux mêmes sources, prônant fondamentalement les mêmes valeurs,
proclamant également la fraternité de tous les hommes et la dignité absolue
de chacun d'eux.
Sans doute, l'émergence, au cours des toutes dernières décennies, de
mouvements extrémistes violents, dévoyant le véritable enseignement du
Coran, a-t-il pu contribuer à accentuer la déformation des représentations
en Occident et à y aiguiser davantage la méfiance.
Sans doute, aussi, des causes internes, renvoyant à des politiques, à des
pratiques de pouvoir et à des gestions, ont-elles pu favoriser, dans
l'espace musulman, le développement de tels extrémismes.
Mais ne doit-on pas y voir, également, une réaction à un état persistant
des relations dans le monde, porteur d'injustices, d'inégalités et
d'exclusion, d'atteintes à la dignité et de négation de droits. Ne doit-on
pas y voir une réaction aux séquelles encore lourdes d'une ère coloniale
dont la volonté de domination génitrice imprègne encore, trop souvent, les
mentalités, les comportements et les actes?
Car -- entreprise de domination -- la colonisation s'est accompagnée aussi
très souvent, dans la culture occidentale, d'une dévalorisation
infériorisante, voire de la négation culturelle et du dépouillement
identitaire de l'Autre.
Dévalorisation de l'héritage culturel des peuples dominés et celle de la
civilisation islamique, en particulier, dans son apport considérable au
progrès universel. Occultation de sa dimension d'ouverture et de tolérance,
qui lui avait permis, en Andalousie, d'offrir l'exemple le plus achevé,
dans l'Histoire, d'une société multi-culturelle et multi-religieuse épanouie.
Le vrai message de paix et de fraternité du Coran
Entretien de préjugés ignorant le vrai message de paix et de fraternité du
Coran qui nous enseigne: "Si Dieu avait voulu, Il aurait fait de vous une
seule nation. Mais Il a voulu vous éprouver dans ce qui vous a été donné.
Rivalisez dans le bien. Où que vous vous trouviez, Dieu vous réunira tous
en Lui".
Préjugés encore sur l'antagonisme irréductible de l'Islam aux autres
religions monothéistes, et préjugés, toujours, quant à son incompatibilité
avec le marché du progrès technique et social, alors que l'Islam, prenant
corps dans une société bédouine du VIIe siècle, avait pu modeler à travers
le monde, de l'Inde à l'Andalousie, des civilisations citadines hautement
sophistiquées, demeurées pendant plusieurs siècles à l'avant-garde de
l'évolution de la pensée et du savoir.
La conscience dans le monde musulman de cette perception dévalorisante par
l'Autre, à la source du phénomène du racisme et marquée encore, dans la
période post coloniale, par le traitement inéquitable réservé par
l'Occident au peuple palestinien et, aujourd'hui, encore, par son
indifférence quasi générale au drame que vivent des millions de femmes et
d'hommes irakiens confrontés injustement à un embargo cruel et inhumain,
cette conscience, pouvait-elle ne pas provoquer, parfois, une attitude
défensive de rejet hostile de l'Autre et de repli identitaire, s'exprimant
en des thèses extrémistes détournant, parfois, le vrai sens du message divin.
Mais, s'il peut être possible d'expliquer ces attitudes, ne devons-nous
pas, nous musulmans, les rejeter avec d'autant plus de force que la
diabolisation de l'Occident qu'elles comportent serait injuste, et dans son
principe et pour sa complaisance vis-à-vis de nous-mêmes.
Complaisance, car nous devons réaliser que la domination que nous avons
subie a découlé, aussi, d'une infériorité réelle, technique et de
développement social, certes, mais dont les causes, celles de la décadence
de la civilisation musulmane, nous sont seulement imputables et ont tenu à
l'étouffement de la pensée critique, à la subordination de la Foi aux
objectifs humains de pouvoir, à la fin de l'îjtihad et de l'adaptation
intelligente aux conditions éminemment évolutives de la vie et du cadre
général de la vie des hommes.
Le dialogue entre les civilisations, si nécessaire, doit ainsi être, pour
nous musulmans, inséparable d'un dialogue avec nous-mêmes, à l'intérieur de
nos sociétés. Un dialogue qui, prenant appui sur la leçon de nos erreurs
anciennes et de nos convulsions récentes, s'attache à réhabiliter l'Homme
dans sa responsabilité vis-à-vis de son destin. Un dialogue orienté vers la
libération du champ des libertés et la revalorisation du principe de
raison, afin de nous ouvrir de nouveau à l'esprit scientifique et de
reprendre notre place dans la course au progrès universel.
Ce réexamen introspectif, si nécessaire pour nous, l'est aussi pour
l'Autre, pour tous les autres, à des égards différents, sans doute, mais
également cruciaux pour l'avenir commun. Et, ici, nous saluons avec respect
et admiration l'action de ces femmes et de ces hommes qui, en Occident,
avec courage et honnêteté, avec audace et lucidité, questionnent leur passé.
Quand l'Eglise reconnaît ses erreurs et sa responsabilité dans des dérives
de l'Histoire, quand des hommes de culture, des hommes de sciences, des
hommes de bonne volonté, simplement, dévoilent les errements et les crimes
de l'entreprise coloniale, les violences, les atteintes à la dignité et aux
droits élémentaires de l'Homme dont elle fut l'auteur à ses diverse phases,
quand des Juifs dénoncent le déni par Israël des droits légitimes du peuple
palestinien à une existence autonome dans un Etat national, et la
répression dont il est l'objet; quand des voix, de plus en plus nombreuses
s'élèvent pour condamner les excès et les dangers d'une mondialisation
vouée au culte excessif du profit, insensible aux détresses des plus
faibles qu'elle aggrave, insoucieuse des dommages irréversibles qu'elle
cause au patrimoine naturel commun: tout cela nous conforte dans notre
détermination vis-à-vis de nous-mêmes.
Et tout cela nous fait croire que l'amorce d'un vrai dialogue entre les
cultures et les civilisations, un dialogue franc et loyal devient non
seulement possible, mais que celui-ci peut, dans sa continuité, aboutir à
une pédagogie plus objective et plus sereine de notre passé commun, si
mêlé, si tourmenté et si riche, une pédagogie à même d'éliminer la méfiance
et les préjugés.
Et que ce dialogue peut aboutir à partir des valeurs communes, constituant
le solde de l'universel, à tracer les voies de la convergence, celles d'un
avenir qui donne enfin son sens à la fraternité partout proclamée des
hommes, à la justice entre eux et à leur solidarité.
Quel meilleur initiateur qu'Augustin pour le dialogue?
Pour commencer ce long dialogue, un tel dialogue, ici en Algérie, quelle
meilleure porte et quel meilleur initiateur qu'Augustin?
D'abord parce que sa personne elle-même nous renvoie à ce formidable
brassage culturel et ethnique des temps anciens et nous rappelle la
profonde unité du monde méditerranéen qui a enfanté nos civilisations
respectives et qui a vu naître les trois religions monothéistes.
Parce que, aussi, d'un point de vue plus égoïste sans doute, mais utilement
peut-être, pour lever des préjuges d'un côté comme de l'autre, ce rappel de
son appartenance à la généalogie des Algériens d'aujourd'hui, occulté trop
souvent par la dimension d'universalité de son œuvre, permet de souligner
et de mesurer l'apport de nos ancêtres, avant même leur participation à la
civilisation islamique, au progrès universel et, plus précisément... dans
la formation de la pensée occidentale.
Je laisserai ici la parole à Henri-Irénée Marrou, un éminent augustinien,
dans un propos qu'il tenait à l'endroit des Maghrébins, lors d'un congrès
méditerranéen en 1976, et que vient de signaler mon ami, le Professeur
Mandouze.
"Aujourd'hui je voudrais montrer qu'il y a eu un transfert du sud au nord
...d'Afrique en Europe... Je ne sais pas si vous Maghrébins, y pensez
suffisamment... Je crois que vous, Maghrébins, vous devriez être assez
fiers de cela, d'avoir offert à l'Europe les maîtres qui l'ont formée,
qu'ils s'appellent Tertullien, Cyprien, Augustin... L'Europe tout entière a
été de la sorte fécondée, éduquée par vos ancêtres, vos pères, chers amis
maghrébins..."
Mais plus fondamentalement, Augustin, parce que son œuvre, si riche et si
profonde, qui continue de nos jours à susciter d'innombrables travaux et
recherches, donnant lieu à travers le monde entier, à plus de 500 ouvrages
et articles scientifiques annuellement, constitue une plate-forme
privilégiée pour une réflexion commune permettant de marquer nos
similitudes, de préciser nos convergences, et de poser ainsi les jalons
d'une éthique de rapports intercivilisationnels, fondée sur le respect, la
compréhension réciproque et la solidarité.
Qu'Augustin ait vécu et pensé avant la révélation coranique ne saurait
disqualifier son œuvre comme support et aiguillon d'une réflexion commune,
de notre point de vue de musulmans. Car le message révélé à notre prophète
Mohamed s'est inscrit dans le prolongement de ceux qu'ont enseigné Abraham
et Jésus. Il est dit dans le Coran à l'adresse des musulmans:
"Ne débattez avec les gens du Livre qu'avec la plus extrême courtoisie.
Dites: nous croyons à ce qui nous a été révélé. Notre Dieu est votre Dieu.
Il est l'Unique".
Et en un autre verset, toujours à l'adresse des musulmans; "Dites: nous
croyons en Dieu, à ce qui nous a été révélé, à ce qui a été révélé à
Abraham, Ismaïl, Isaac, Jacob, aux douze tribus, à ce qui a été confié à
Moïse, à Jésus, aux prophètes par leur Seigneur. Nous ne faisons aucune
distinction entre les envoyés de Dieu puisque c'est à Lui que nous nous
soumettons".
C'est donc sans prévention que nous nous mettons à l'écoute attentive et à
l'étude d'Augustin, dans ce qui, au delà des particularités des religions
respectives, fait l'essence de son œuvre et son éminente personnalité.
Et qu'il s'agisse des interrogations sur les ressorts profonds de la nature
humaine immuable, qu'il s'agisse de l'angoisse de l'homme quant à sa
liberté et face au problème de la Foi questionnée par la raison, qu'il
s'agisse des questions difficiles des exigences envers soi et des devoirs
envers les autres, des voies de la Justice, du Bien et celle de la Cité
idéale, l'étude d'Augustin est d'une actualité brûlante et les débats
qu'elle est de nature à susciter peuvent contribuer à nous faire progresser
ensemble, dans notre diversité, vers le monde apaisé, le monde de justice
et de fraternité auquel, depuis la nuit des temps, aspirent tous les hommes
de bonne volonté.
Je n'irai pas plus loin dans ce commentaire, pour ne pas m'aventurer
maladroitement dans le champ de compétence de sommités réunies ici.
Et je me contenterai, pour conclure, de souhaiter que votre colloque fasse
mûrir quelques graines de l'immense espoir du monde et qu'il soit le
prélude à de multiples moissons, toujours plus généreuses.
Je vous remercie.
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